La « langue maternelle » désigne la première langue apprise par un enfant dans sa famille, que ce soit la langue du pays ou pas. La plupart des gens pensent que c’est un peu comme le vélo : une fois qu’on l’a apprise, c’est pour toujours.
Mais est-ce si sûr ? Est-il possible d’oublier sa langue maternelle en grandissant ?
L’histoire d’Aharon Appelfeld
Aharon Appelfeld est né en 1932 en Roumanie de parents juifs germanophones. Il est élevé avec la langue allemande par son père et sa mère, tandis que ses grands-parents lui parlent en yiddish.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il n’a que 8 ans. En 1940, il perd sa mère ; un an plus tard, il est séparé de son père pour être interné dans un camp dont il s’évade en 1942. Pendant le reste de la guerre, il mène une vie de fugitif, puis finit par s’embarquer clandestinement pour la Palestine en 1946.
Au cours de ces six années, Aharon n’a pas seulement perdu sa famille, mais aussi l’usage de sa langue maternelle. Pire, il se dit même alors incapable de s’exprimer dans aucune autre langue. Plus tard, il raconte :
« En 1946, l’année de mon arrivée en Palestine, mon journal intime se composait d’une mosaïque de mots en allemand, en yiddish, en hébreu, et même en ruthène […]. Mon journal me servait donc de cachette dans laquelle j’entassais les restes de ma langue maternelle et les mots nouveaux que j’apprenais. Ce verbiage n’était pas l’expression de quelque chose mais plutôt un état d’âme ».
Le cas d’Aharon Appelfeld est particulier : des circonstances extrêmes, un traumatisme psychologique profond, entraînent la perte intégrale de sa langue. C’est la disparition totale d’un élément constitutif de son identité.
Si cela paraît impossible dans des circonstances ordinaires, c’est parce qu’on a le sentiment qu’une langue maternelle est trop profondément liée à sa propre identité. C’est à travers cette langue qu’un enfant commence à construire et articuler ses premières visions du monde.
Alors comment douter du fait que la langue maternelle ne puisse être inscrite dans la mémoire de façon indélébile ?
Le cas des langues apprises durant l’enfance
La langue maternelle apprise dès les premières années de vie ne s’efface jamais vraiment complètement du cerveau, même si on ne la pratique plus en grandissant.
C’est ce que démontre une étude menée par l’Institut Neurologique de Montréal, qui portait sur un groupe de 48 jeunes filles d’origine chinoise âgées de 9 à 17 ans, dont une partie étaient adoptées. Elles ont été divisées en 3 groupes :
- des filles nées et élevées au Canada, dans un environnement uniquement francophone
- des filles adoptées en bas âge ne parlant pas chinois et n’y ayant jamais été exposées après leur adoption
- des filles bilingues qui ont continué à parler le chinois, leur langue maternelle
Chaque sujet a été exposé à des sons en chinois et il s’est avéré que les mêmes régions du cerveau étaient sollicitées chez les filles bilingues et les filles adoptées.
Les jeunes filles adoptées ont donc des souvenirs inconscients de leur langue maternelle. Reste à savoir si ces compétences enfouies pourraient faciliter un apprentissage ultérieur de la langue chinoise …
L’oubli de la langue maternelle chez les bilingues tardifs
On parle d’attrition pour désigner le phénomène de perte de tout ou partie d’une langue.
On parle de bilinguisme tardif lorsqu’une seconde langue est apprise après l’âge de 6 ou 7 ans. Un bilinguisme tardif se produit donc après l’acquisition d’une première langue, c’est-à-dire après le développement langagier de l’enfance. Comme la première langue est déjà acquise, le bilingue tardif utilise ses connaissances pour apprendre la deuxième langue, ce qui est différent du cas de bilinguisme précoce.
Cela peut par exemple être le cas lorsque l’on émigre. La langue maternelle est délaissée au profit de la langue du pays d’adoption qui devient la principale langue utilisée au quotidien.
Dans ce cas, il est tout à fait possible « d’oublier » sa langue maternelle au fil du temps, ce que le locuteur remarquera de façon concrète par de plus en plus de difficultés à former des phrases ou à mobiliser son vocabulaire aux moments opportuns.
C’est un processus très progressif qui témoigne d’une véritable réorganisation cérébrale : le cerveau remplace petit à petit la structure de la langue maternelle par une autre, qui devient la langue de référence. Le niveau d’oubli varie d’un individu à un autre.
Cet « oubli » de la langue maternelle n’est toutefois pas irréversible : une nouvelle exposition prolongée à la langue natale peut permettre un retour progressif des connaissances.
Autre point important, bien que le locuteur puisse avoir le sentiment d’avoir oublié sa langue maternelle, il n’est pas rare que cette dernière parvienne à se frayer un chemin et à investir son quotidien sans crier gare. Intonations, lapsus, expressions idiomatiques que l’on traduit mot à mot, jeux de mots et même les rêves si l’on en croit certains psychanalystes : la langue maternelle peut se manifester de manière inopinée et de nombreuses manières.
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Sources :
https://fr.babbel.com/fr/magazine/oublier-langue-maternelle-attrition
http://developpement-langagier.fpfcb.bc.ca/fr/bilinguisme-types-de-bilinguisme
Eduardo
7 avril 2021 at 21 h 51 mintrès intéressant
Housna
7 avril 2021 at 23 h 23 minVraiment c’est très intéressant et merci beaucoup chère Ingrid !😘