Les enfants et les adultes qui migrent pour vivre dans un autre pays rencontrent un certain nombre de difficultés cognitives : ils vont devoir s’adapter non seulement à une nouvelle culture, mais aussi à une nouvelle langue et éventuellement à un nouveau système d’écriture.
- Que comprend-on aujourd’hui de ces apprentissages ?
- Peut-on utiliser les découvertes des sciences cognitives et neurosciences pour les faciliter ?
La plasticité cérébrale, c’est quoi ?
Les études du cerveau ont montré à la fois l’étendue et les limites de la plasticité cérébrale.
L’espère humaine a hérité de toute une série d’évolution du cerveau, et le cerveau du très jeune enfant est extrêmement structuré dès la naissance.
Ce qu’on appelle plasticité cérébrale c’est la capacité des réseaux de neurones, au niveau des points de contacts entre les neurones, les synapses, d’évoluer et de s’adapter. Les synapses peuvent se faire et se défaire et, notamment dans la petite enfance, il y a une surproduction extraordinaire de synapses et une évolution qui fait que certaines sont éliminées.
On pense que cette plasticité est telle que chez le petit enfant il y a plusieurs millions de synapses qui font et se défont chaque seconde ! C’est un bouillonnement extraordinaire, une plasticité telle qu’elle va nous permettre de modifier nos réseaux cérébraux pour acquérir, par exemple, une certaine langue, voire deux langues ou trois langues chez les personnes bilingues ou trilingues.
Comment évolue cette plasticité de notre cerveau au cours de la vie ?
Cette plasticité n’est pas infinie dans le temps : il y a des « fenêtres » pendant lesquelles cette plasticité est maximale. Par exemple pour l’apprentissage des phonèmes de la langue maternelle (les sons) tout se passe pendant la première année de vie.
Un enfant de 9 mois est capable de discriminer tous les phonèmes de toutes les langues du monde, mais à partir de 12 mois, son éventail se restreint et il ne va plus pouvoir discriminer que les phonèmes qui sont dans sa langue. C’est ainsi que les Japonais, par exemple, cessent de discriminer le r du l parce que ce contraste n’est pas utilisé dans leur langue.
Pour d’autres aspects du langage, comme la syntaxe, l’évolution est un peu plus tardive et les courbes montrent que c’est aux alentours de la puberté que les performances chutent dramatiquement et qu’on devient moins capable d’apprendre une langue étrangère.
Peut-on oublier sa langue maternelle à cause de cette plasticité ?
La plasticité existe tout au long de la vie, ainsi qu’on peut observer que l’apprentissage du langage peut être aussi réversible.
Dans le cas d’enfants adoptés dans une famille qui parle une langue complètement différente de la leur, par exemple des enfants coréens qui ont été adoptés en France et n’ont plus jamais entendu un mot de coréen, on observe que -même s’ils sont arrivés à l’âge de 8 ou 9 ans- si on les scanne à l’âge adulte, on ne voit plus aucune trace de leur première langue dans leur cerveau.
Cette plasticité devient de moins en moins possible au cours de la vie, c’est pourquoi les neurosciences et les sciences cognitives font une recommandation extrêmement claire au monde de l’éducation : il faut exposer les enfants à une deuxième langue, voire à une troisième langue très précocement, avec des locuteurs natifs qui viennent dans les écoles maternelles ou même dans les crèches de manière à ce que les enfants puissent apprendre une deuxième langue dans un contexte extrêmement naturel. Dans ce cas-là, il n’y a aucun effort ! Le cerveau absorbe littéralement une deuxième langue.
Est-il encore possible d’apprendre une nouvelle langue à l’âge adulte ?
Ce que les sciences cognitives ont démontré c’est qu’il y a une plasticité du cerveau maximale au début de la vie, mais qui persiste tout au long de la vie et qui, éventuellement, peut être ranimée par des circonstances particulières, comme le déracinement ou l’adoption.
Donc il est tout à fait possible au cerveau adulte d’apprendre des compétences nouvelles comme une langue nouvelle, comme un système d’écriture nouveau.
L’alphabétisation adulte a été étudiée et on a montré qu’elle faisait appel aux mêmes circuits que l’alphabétisation en milieu scolaire. Par contre ces apprentissages dans un cerveau adulte vont demander plus de temps et plus d’efforts, alors que c’est pratiquement sans aucun effort qu’un jeune enfant va pouvoir apprendre une seconde langue ou une troisième langue. En quelques mois il va devenir comme un locuteur natif.
Donc ne nous décourageons pas en ce qui concerne l’apprentissage adulte, mais essayons aussi de procurer aux jeunes enfants le maximum de stimulations le plus tôt possible dans le domaine du langage et de la lecture.
Merci à Stanislas DEAHENE, Collège de France
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