Transcription de l’entretien avec Anne Christophe, chercheur au CNRS, Ecole Normale Supérieure.
Quand on étudie le développement du langage chez les enfants monolingues et bilingues, on s’aperçoit que tout se déroule exactement au même rythme. Que ce soit la compréhension des premiers mots, la production des premiers mots, la prononciation des premières phrases, tout est exactement au même âge chez les enfants monolingues et chez les enfants bilingues.
Alors, bien sûr, quand on regarde un enfant individuellement, on ne peut pas savoir exactement à quel âge il va faire toutes ces choses-là parce qu’il y a beaucoup de variabilité entre les enfants. Cette variabilité est en grande partie familiale, c’est-à-dire que si les parents parlent tard, il y a de fortes chances que les enfants parlent aussi tard. Évidemment, quand on prend un seul enfant, que cet enfant parle tard parce qu’il est né dans une famille où on parle tard, et que cet enfant en plus est bilingue, on va avoir tendance à dire : « C’est peut-être que c’est parce qu’il est bilingue qu’il parle tard. »
Pas du tout. En fait, le bilinguisme n’a rien à voir avec l’âge auquel on commence à parler.
La deuxième question que l’on peut se poser est celle du vocabulaire. On pourrait avoir l’impression qu’un enfant bilingue, dans la mesure où il apprend des mots dans les deux langues, peut-être qu’il connaît moins de mots qu’un enfant monolingue. Quand on regarde ce qui se passe, on s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait vrai. Si on prend par exemple un enfant bilingue, entre le français et l’anglais, on regarde le nombre de mots qu’il connaît en français et le nombre de mots qu’il connaît en anglais.
– Si on regarde les mots qu’il comprend, on s’aperçoit qu’il comprend autant de mots en français qu’un enfant monolingue français et autant de mots en anglais qu’un enfant monolingue anglais.
– Par contre, quand on regarde les mots qu’il prononce lui-même, alors là on voit une différence. Il prononce moins de mots en français qu’un enfant monolingue français et pareil pour l’anglais.
– Par contre, si on regroupe ensemble le vocabulaire total, si on compte les mots en français et en anglais, alors là, typiquement, il connaît plus de mots qu’un enfant monolingue. Donc on voit quand même, au total, un avantage.
La dernière question qu’on peut se poser est la suivante : « Y a-t-il un coût pour les enfants bilingues à apprendre deux langues en même temps ? » On pourrait penser que pour eux, c’est un travail supplémentaire, et comme ils travaillent sur leurs langues, ils ont peut-être moins de temps pour travailler sur d’autres aspects de leur vie intellectuelle. Et en fait, ce n’est pas vrai du tout, on pourrait même penser que c’est l’inverse. Donc l’enfant bilingue, comme il a beaucoup l’habitude de choisir un mot spécifique dans une langue, et de ne pas choisir le mot dans l’autre langue par exemple, on pense qu’il va être meilleur dans des tâches où il doit effectivement montrer de la flexibilité. C’est-à-dire écarter une opportunité pour en choisir une autre.
Donc, au total, le bilinguisme c’est tout bénéfice pour les enfants.
Merci à Anne Christophe, chercheur au CNRS, Ecole Normale Supérieure